De nombreux sites et autres puristes du jeans ne jurent que par un seul type de jeans : les selvedge. Les jeans selvedges seraient les plus résistants et ceux qui vieillissent le mieux, mais l'explication du pourquoi du comment n'est pas forcément simple. Au travers de cet article, nous avons cherché à mettre en lumière toutes les facettes de ce tissu particulier afin de comprendre pourquoi est-ce qu’il est si recherché et s’il en vaut vraiment la peine.
Pour répondre à ces interrogations, nous avons tout d'abord cherché à définir ce terme et faire un historique de ce tissu. Le terme selvedge est la contraction de self-finished edge, à savoir que le tissu a ses bords finis, contrairement aux tissus classiques qui sont bords francs et peuvent donc s’effilocher. Sinon le principe théorique de tissage est le même, il s’agit d’un sergé. A noter qu’un sergé est un tissu chaine et trame, composé de deux types de fils, un fil de chaine (indigo dans le cas du jean) entrelacé par un fil de trame (blanc ou non traité).
Tissu classique versus selvedge : vous pouvez voir aussi des "franges" sur le tissu classique démontrant qu'il n'est pas à bords finis
Si la théorie est globalement la même, la pratique est bien différente. Pour bien appréhender cette différence pratique, il est important de revenir quelques années en arrière. A la fin du XIXème siècle, les fabricants utilisaient un certain type de métier à tisser capable de produire des tissus sergés, avec un tissage extrêmement serré et sur des largeurs (laizes) plutôt faibles, aux alentours de 80 cm. Ces machines n’utilisaient qu’un unique fil de trame sur chaque ligne de tissage venant ainsi « refermer » les bords du tissu. L’idée étant d’économiser du tissu et le renforcer par la même occasion. Il s’agissait de métiers à navette, car une navette traversait le tissu de bout en bout à chaque ligne pour faire passer le fameux fil de trame.
Schéma d'un tissage sergé aux bords finis (selvedge)
Mais ces métiers à tisser travaillent relativement lentement avec des largeurs de tissu faibles, donc avec l’essor de l’industrie textile au 20ème siècle, des machines plus mordernes se sont répandus permettant de tisser plus rapidement des largeurs plus importantes. L’inconvénient de ces machines étant qu’elles coupent le bord du tissu qui n’est pas fini. Malgré la mondialisation, certains fabricants ont poursuivi le tissage sur métier à navette. C’est le cas par exemple de Cone Mills aux Etats-Unis (fournisseur historique de Levi’s jusqu’à la fin des années 90). Mais ce sont les japonais qui ont redonné ses lettres de noblesse au selvedge, à tel point que certains ne veulent que du selvedge japonais (on ne peut pas leur en vouloir car ils ont plutôt raison). C’est en voulant reproduire les jeans des années 40 qu’ils se sont replongés dans ce type de tissage et notamment grâce à la marque japonaise Big John. Et comme tout ce qui touche au Japon, ils ont maitrisé le sujet, c’est ainsi que de nombreuses marques ont vu le jour et pris de l’ampleur depuis le premier essai de Big John. Il est possible de citer Evisu, The Flat Head ou Momotaro plus récemment.
Mais alors est-ce si différent de porte un jean à base de tissu selvedge ou un non selvedge ? La première réponse vient directement de ce qui a été expliqué plus haut et du mode de tissage. Il y a une différence mécanique provenant du fait que le tissu selvedge est auto-fini par un fil unique. Il est donc naturellement renforcé et ne risque pas de s’effilocher sur lui-même si les finitions sont mal réalisées. De plus, le tissage apparait plus serré sur ces anciens métiers à tisser. Mais il existe également une différence visuelle. Ces machines à navette sont assez contraignantes à utiliser, elles sont difficiles à régler correctement, donnant ainsi une certaine irrégularité dans le tissu. Ces irrégularités peuvent être vues comme des défauts ou apporter un certain cachet, mais dans tous les cas c’est une différence importante.
Enfin, la principale différence est que la plupart de ces selvedges sont réalisés au Japon. En effet, même s’il existe quelques fabricants européens, la qualité de ce qui est produit n’égale pas encore ce qui fait aux Etats-Unis et encore moins ce qui est fait au Japon. Les tisseurs japonais ont accès à des fibres de coton de meilleure qualité (provenant souvent des Etats-Unis) qu’ils arrivent ensuite à sublimer en filature et en coloration.
C’est en réalité ce dernier aspect qui est le plus important et c’est pour cette raison que le selvedge japonais fait autant l’unanimité (et aussi le fait qu’on peut arborer fièrement nos lisières finies sur nos revers de jeans). Il apparait plus résistant, plus beau et se patine d’une manière intéressante avec le temps. Ils ont également développé des techniques permettant de donner encore plus de cachet à leurs tissus, comme le slub qui consiste à enrouler le fil de trame d’autres fils de manière irrégulière. L’irrégularité du tissage est ainsi enrichie, donnant des reflets encore plus intéressants à la matière. Tout cela est bien entendu à pondérer avec les matières choisies. Un selvedge constitué de matières synthétiques vieillira nécessairement moins bien qu’un 100% coton.
Prototype d'un jean en selvedge coton/cashmere. Le rendu est très épais mais également très doux (oui je sais que vous ne pouvez pas toucher la matière, mais vous pouvez me croire).
Mais bien évidemment tout cela a un coût. Cela s’explique tout d’abord par le fait que pour fabriquer un même jean, il faut plus de denim selvedge que de non selvedge (relatif à la laize inférieure du selvedge). De plus, le mètre de tissu est généralement plus cher de base. Aussi, il est difficile de trouver un bon jean selvedge à moins de 150€. Et ils atteignent même rapidement les 250-300€. Bien entendu, le prix est souvent lié au grammage du tissu. Plus un tissu est lourd, plus il sera cher, et plus on verra ses particularités apparaitre (mais moins il sera confortable aux premiers abords).
Vous savez désormais tout ce qu’il y a à savoir sur le selvedge, mais pour réellement comprendre l’engouement, le mieux est encore de toucher les matières et essayer les jeans. Certaines boutiques se sont spécialisées dans la vente de jeans selvedge comme Bleu Brut à Bordeaux ou Elevation Store à Paris. Vous pouvez également testé notre propre jean selvedge. Chez époques, nous avons tenté de créer un jeans selvedge ayant le meilleur compromis, un tissu de qualité, épais mais pas trop (grammage de 14 oz) en 100% coton, dans une coupe ayant déjà fait ses preuves. Nous pouvons ainsi optimiser le coût de notre jeans pour qu’il puisse être disponible à 200€.